L’article suivant vient s’ajouter aux témoignages présentés dans la revue de l’ACO, le LEVANT 2023 (à télécharger sur cette page ; pour un envoi papier merci de nous contacter par mail). La thématique de ce numéro porte sur le fait d’être une Eglise en situation de minorité (« Vivre en minorité, un atout ? »).

            Je m’appelle Norek Hovsepian, je suis né à Bagdad en Irak en 1969, je suis marié et père d’une fille. J’ai grandi dans une famille membre de l’Eglise Apostolique Orthodoxe Arménienne. Dès l’enfance j’ai aimé le Seigneur et j’ai été poussé par une force intérieure à servir le Christ. Autour de la vingtaine j’ai commencé à m’engager dans l’église arménienne Saint Grégoire l’Illuminateur de Bagdad. Au bout de 9 ans j’ai été ordonné prêtre le 11 février 1999 à Bagdad. J’étais l’un des quatre prêtres orthodoxes arméniens de Bagdad ; la population arménienne y était alors importante.

            De l’orthodoxie au protestantisme

Après avoir été prêtre un certain temps auprès des familles arméniennes de Bagdad, en parlant et en échangeant avec les paroissiens, j’ai fait le constat qu’ils avaient une très faible connaissance de la Bible et que c’était la raison principale pour laquelle ils n’avaient pas de relation vivante avec Jésus-Christ. Je me suis alors fixé pour but de les enseigner pour qu’ils connaissent mieux la parole de Dieu et la vérité qu’elle recèle, et qu’ils puissent établir une relation personnelle avec Jésus-Christ. J’ai organisé des réunions, établi des groupes de maison et je leur ai procuré des Bibles gratuites.  Mais mon évêque et la direction de l’Eglise m’ont fortement désavoué. Cela est même remonté jusqu’aux services secrets du président dictateur Saddam Hussein qui m’ont menacé pour que j’interrompe mon travail d’évangélisation. Je me suis donc retrouvé dans une position très difficile, à la fois de la part de l’Eglise et de la sécurité d’Etat. Mais au milieu de cette période troublée j’ai reçu cette parole de Dieu : « Prends ce bâton et mène mon troupeau hors d’ici ». En 2003, après l’invasion américaine de l’Irak, l’Eglise arménienne traditionnelle m’a démis de mes fonctions de prêtre. Mais plusieurs paroissiens se sont rassemblés autour de moi et, le 1er avril 2004, nous avons fondé la première Eglise évangélique arménienne d’Irak[1]. Le fait de devenir une église protestante nous a amenés à élargir notre champ de vision pour nous adresser à tous les Irakiens, pas seulement les personnes de culture et de langue arméniennes.

Actuellement nous avons une église-mère au centre de Bagdad et plusieurs petites églises dans d’autres quartiers et à l’extérieur de la ville. Au cours de ces 20 dernières années, j’ai formé et préparé un grand nombre de responsables pour servir notre Eglise. Ses membres sont globalement représentatifs de l’ensemble de la population irakienne. Nous utilisons la langue arabe qui est la langue officielle du pays et nous avons également des rencontres où la langue arménienne est utilisée. En 2022 nous avons fondé une Eglise à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien : elle est officiellement reconnue et elle regroupe des personnes de culture arménienne et syriaque (les assyro-chaldéens).  

Menaces, défis et engagements

Notre situation économique, politique et sécuritaire reste instable. Ces derniers mois la situation économique s’est encore fortement dégradée. Pour les chrétiens il y a très peu de possibilités d’emplois, notamment à Bagdad, et les menaces sont toujours présentes. Il y a des endroits où aucun chrétien ne pourra résider. Il est estimé que la population chrétienne est passée de 1,5 million à 250.000 personnes depuis 2003. Les chrétiens continuent d’émigrer car l’insécurité et les persécutions perdurent de la part de groupes fanatiques musulmans. En tant que protestants nous sommes donc assez isolés car nos relations avec les Eglises traditionnelles restent également difficiles. Nous affirmons avec audace que nous ne pouvons pas aller de l’avant sans la grâce de Dieu.

            En 2005 nous avons créé une ONG qui s’adresse en priorité aux orphelins et aux veuves. Elle est enregistrée officiellement et nous permet d’agir de manière sûre et légale afin de venir en aide à des personnes en grande difficulté, chrétiennes et musulmanes, et de partager avec elles l’amour du Christ. Notre aide se décline dans plusieurs domaines : colis alimentaires, aides pour financer des soins, formation à l’artisanat pour permettre à des femmes d’avoir une source de revenus.

            Les défis qui sont devant nous sont gigantesques : le fait de persévérer à vivre ici en Irak en tant que chrétiens, les questions de sécurité, les besoins financiers… mais le réconfort que nous apporte le Seigneur dépasse tous ces défis. Il est comme le soleil qui se lève sur des terres sombres : au milieu de cette obscurité le Seigneur met sur notre route beaucoup de personnes qui Le recherchent et qui sont prêtes à Le recevoir. Beaucoup de miracles se produisent !

Si nous ne considérions que les difficultés, nous pourrions dire qu’il n’y a pas d’espoir. Mais avec le regard de la foi, nous réalisons que Dieu est toujours à l’œuvre dans ce pays et que nous sommes à sa disposition pour y bâtir son Royaume. Nous continuons donc à annoncer aux gens que le Seigneur a besoin de chacun d’entre eux en Irak.

            Je remercie Dieu pour l’amour et le soutien de l’ACO pour notre ministère en Irak. Je vous invite à prier pour tous les défis et les enjeux que j’ai mentionnés. Et je vous remercie encore : que le Seigneur vous bénisse et vous garde toujours !

Norek Hovsepian


[1] Le terme d’évangélique désigne en arabe et dans l’ensemble du Proche-Orient la confession protestante : elle est donc à comprendre dans un sens large. Une communauté arménienne protestante a existé en Irak jusque dans les années soixante. La paroisse de Bagdad fondée par le pasteur Hovsepian a rejoint l’Union des Eglises Evangéliques Arméniennes au Proche-Orient, membre de l’ACO Fellowship.

Voici quelques photos du projet de formation à l’artisanat dont l’objectif est de permettre à des femmes (veuves ou dont le mari est dans l’incapacité de travailler) de créer et des vendre des bijoux afin de générer un revenu pour leur foyer.