Alors que le Centenaire de l’ACO se prépare, le pasteur Bchara Moussa Oghli, de « l’Eglise du Christ à Alep » nous partage cette réflexion. Pour bien la comprendre il faut se rappeler que l’Eglise du Christ fut autrefois le centre missionnaire de l’ACO, créé pour venir en aide aux Arméniens rescapés du génocide de 1915 et réfugiés dans des camps misérables à Alep. A cette époque l’essentiel du travail de l’ACO fut de venir au secours de cette population : aide alimentaire, soins médicaux, prise en charge de veuves et d’orphelins, éducation, aide au logement, création d’emplois…Aujourd’hui l’Eglise du Christ procure aux plus démunis des soins (médicaux et dentaires), des aides financières à caractère social et éducatif, des temps de prière et culte. Le pasteur Bchara et son épouse, Houri, ont fait le choix de rester au service de tous même aux heures les plus sombres des combats à Alep…

On m’a sollicité pour présenter une réflexion en cette année du centenaire de la paroisse de l’Eglise que je sers et de la société missionnaire qui l’a établie, 1922-2022. Je vais commencer ma lettre en disant que lorsque les missionnaires étrangers de cette société missionnaire, l’Action Chrétienne en Orient, ont été forcés de quitter la Syrie dans les années 1960, ils ont décidé de confier le centre missionnaire qu’ils avaient créé, l’Église du Christ d’Alep, à l’Union des Églises Evangéliques Arméniennes au Proche-Orient. L’Union, pour sa part, a non seulement accepté d’endosser la propriété du centre, mais a également décidé de recevoir le flambeau de la mission de ses fondateurs. Nous devons néanmoins admettre que l’Union n’avait ni une vision et des plans clairs, ni les ressources suffisantes pour cette tâche lourde et exigeante.

En fait, rien, aucune institution ni personne, ne pouvait anticiper les chemins que l’Église du Christ allait parcourir. Cela s’est fait dans un style et une mentalité typiquement syrienne, ʿala ʾAlla [cela dépend de Dieu], non seulement en ce qui concerne le passage des années 1960 à l’administration locale, mais dès 1922, avec les fondateurs européens.

D’habitude, quand les choses se passent bien dans tel ou tel domaine et après qu’une analyse et une planification ont été faites en amont, le mérite en revient à ceux qui ont fait cette analyse et cette planification. C’est tout à fait vrai dans le cas du Génocide de 1915. Le Génocide a été catastrophiquement bien planifié, brutalement exécuté et douloureusement efficace.

Quant à une société missionnaire comme l’Action Chrétienne, venue en Orient pour aider les survivants de ce Génocide, qui pourrait revendiquer un quelconque crédit pour une planification préalable ? Ce n’était dans les rêves de personne de la mission, pas seulement dans ses premiers pas, mais aussi dans les étapes précédant la vie missionnaire. Au contraire, la plupart du temps, il s’agissait de réactions spontanées de personnes engagées qui, dans des circonstances exceptionnelles, avaient pour seul but de laisser : « … l’amour chrétien et la charité… intervenir pour soigner quelque peu les blessures, alors que, pendant la Première Guerre mondiale et après, les dirigeants de ce monde, les grandes puissances, avaient sacrifié les chrétiens d’Orient à leurs politiques opportunistes. » comme le dit si bien le fondateur de l’ACO, le pasteur alsacien Paul Berron (1887-1970) dans « Une œuvre missionnaire en Orient et en Occident : Origine et développement de l’Action Chrétienne en Orient », Oberlin Strasbourg, 1961, p. 10.

On pourrait en dire autant de l’agression de la Syrie à la mi-mars 2011, près d’un siècle après le Génocide. Car cette agression avait aussi été catastrophiquement bien planifiée, brutalement exécutée et douloureusement efficace.

Quant à l’Église du Christ à Alep, elle a réagi de façon candide et a résisté au travers des gens qui la servaient lorsque cette agression écrasante s’est installée, ils ne comptaient que sur Dieu. Il était absolument vital que l’Église du Christ à Alep n’ait aucune stratégie ou programme à long terme et puisse s’engager pleinement dans ses ministères quotidiens habituels. C’est pour cela que, lorsque l’agression s’est imposée sans prévenir sur le terrain, elle s’est levée comme une jeune vierge et a réagi de façon tout à fait inattendue face cette gigantesque agression parfaitement réfléchie. Une fois de plus, l’Église du Christ a vécu sa destinée divine, comme le dit l’apôtre Paul : « En effet, je suis jaloux de vous, de la jalousie de Dieu, car je vous ai promis en mariage à un seul époux, pour vous présenter à Christ comme une vierge pure.» (2 Corinthiens 11,2)

Révérend Bchara Moussa Oghli, pasteur de l’Église du Christ d’Alep

.