1er Avent – Prédication donnée lors d’un culte missionnaire autour du Liban, en l’église St-Matthieu à Strasbourg, le 28 novembre 2021.
Texte de prédication : Jérémie 23, 1-8
Chers frères et sœurs en Christ,
« Winter is coming ! L’hiver arrive !” C’est par ces mots qu’une pasteure syro-libanaise, Mathilde Sabbagh, commence une méditation autour de ce temps de l’Avent et de Noël 2021.
« Winter is coming ! L’hiver arrive !”, c’est non seulement la saison humide et froide qui assurément est devant nous, mais c’est aussi une allusion à la fameuse série télévisée « Games of Thrones – les jeux de pouvoirs » où épisode après épisode différentes puissances complotent, se trahissent et se déchirent – chacune cherchant son propre intérêt – alors qu’une autre menace plus fondamentale, un hiver de plusieurs années, se profile dans un horizon bouché, annonciateur de mort pour l’ensemble de la société.
A vue humaine, aujourd’hui, le Liban comme la Syrie, n’ont pas d’avenir discernable : la faillite des élites dirigeantes et des pouvoirs qui se disputent leurs zones d’influences, par milices interposées et par la corruption, plonge la majorité des citoyens dans le stress d’une vie quotidienne marquée par les pénuries et par l’incertitude la plus grande sur le lendemain.
Les médias qui décrivent la situation dressent des constats implacables sur l’incurie des responsables politiques libanais, englués dans un système mafieux où la recherche du bien commun n’a plus droit de cité et où l’ingérence de tellement de puissances régionales voire internationales font échouer toutes les solutions proposées. La tonalité de ces articles est souvent dure, pas très loin finalement des sentences du prophète Jérémie qui page après page dénonce les crimes du pouvoir royal et l’injustice des autorités religieuses, annonce le jugement sans appel de Dieu et l’imminence de la catastrophe qui effectivement emporta le royaume de Juda, dévasté par les forces babyloniennes.
« Quel malheur pour les bergers qui perdent et dispersent le troupeau que je fais paître » !
Parcourir le livre du prophète Jérémie c’est être frappé par l’accumulation de dénonciations de tout ce qui ne va pas, de descriptions imagées d’une situation sans issue, de condamnations au nom d’un Dieu en colère contre la folie des Hommes.
Par exemple le passage suivant : Jérémie 12, 10 à 13 [Lecture]
Il vaut mieux avoir le cœur accroché si vous lisez Jérémie dans un environnement de crise comme au Liban. Et pourtant c’est peut-être dans de tels contextes que ses paroles prennent un relief nouveau et vous touchent avec acuité – et que sans doute ressort encore davantage les éclats d’espérance inattendus qui surgissent tout d’un coup au sein des quelques passages qui osent se projeter au-delà de l’hiver, au-delà de la catastrophe.
C’est le cas au verset 5 de notre passage : Les jours viennent – déclaration du Seigneur – où je susciterai à David un germe juste ; il règnera en roi et prospèrera, il agira dans le pays selon l’équité et la justice.
Les prophètes de malheur, aussi réalistes soient-ils, sont docn aussi des visionnaires d’espérance. Vous vous souvenez peut-être de cet épisode où, alors que Jérusalem était assiégé et sur le point de tomber, Jérémie accepte de racheter le champ de son oncle – qui devait sans doute être heureux d’avoir du cash dans un contexte pareil (petite parenthèse : les libanais n’ont pas eu accès à leurs épargnes pendant des mois et aujourd’hui encore ils ne peuvent retirer de l’argent liquide qu’au compte-goutte…)
Le contrat est rédigé et mis en lieu sûr et Jérémie de préciser, au nom de Dieu, « on achètera encore des maisons, des champs et des vignes dans ce pays » [chap. 32]. Le prophète continue en louant la fidélité de Dieu alors même que la destruction est en train de s’accomplir : à l’image de la libération de l’esclavage en Egypte autrefois, un nouvel avenir sera un jour donné et Dieu y travaille déjà.
Face à l’hiver qui vient, l’espérance ose annoncer la venue du Seigneur. « Winter is coming…mais le Seigneur vient » : c’est le sens même du temps de l’Avent que nous inaugurons aujourd’hui, de proclamer cette assurance quelque soit l’état du monde ou les épreuves de nos vies personnelles.
Alors que souvent la survenue du malheur est une occasion pour accuser Dieu de ne pas exister, la foi en Jésus-Christ renverse la perspective et nous demande de devenir des chercheurs d’espérance en nous concentrant sur l’essentiel.
La pasteure Rola Sleiman, de Tripoli au Liban, a récemment rédigé un petit mot à ma demande sur ce Noël 2021 qui se prépare aussi dans sa paroisse. Elle souligne que tout est incertain : sera-t-il possible matériellement de réunir toute la communauté comme à l’accoutumée ? De faire la fête avec les enfants, d’écouter leurs prières et leurs chants, de voir leurs danses, de procéder à la distribution des cadeaux, au repas paroissial, à la séance photo des familles de la communauté ? Les voisins musulmans feront-ils la dépense d’envoyer en signe d’amitié des douceurs comme d’habitude ?
Aucune certitude, on vit au jour le jour…mais s’il y a quelque chose que Rola souhaite réussir ce Noël 2021 c’est de vivre un temps de fête avec les enfants syriens réfugiés, musulmans, qui vivent dans le camp à côté et qui sont accueillis dans le centre créé par l’église pour suivre un minimum de scolarité.
« Noël – dit-elle – c’est l’espérance pour les désespérés, la joie pour les affligés, et ces enfants ont tellement besoin de gestes d’amour. »
Pour la pasteure Rola Sleiman l’espérance ancrée en Jésus-Christ prendra donc le visage de ces enfants réfugiés au milieu même du marasme que traverse son pays.
L’espérance à laquelle notre foi nous appelle n’est donc pas une attente passive, illusoire, mais l’affirmation aujourd’hui de l’amour de Dieu pour notre humanité, un amour qui nous engage à la suite du Christ et qui œuvre, par des signes à la fois simples et forts, à l’annonce d’un monde différent…un monde auquel nous essayons déjà de travailler.
L’espérance qui nous vient de Dieu a cette force de nous faire naviguer entre les temps, entre le passé et l’avenir, entre le récit biblique qui nous atteste de l’action de Dieu autrefois et l’assurance de la proclamation du Seigneur qui vient par-delà tous les hivers et toutes les épreuves. C’est cette relation entre le passé et l’avenir de Dieu qui nous engage à concrétiser son espérance au présent – aujourd’hui.
Le pasteur et théologien libano-syrien, Hadi Ghantous, souligne que les grands récits bibliques ont été forgé au milieu des crises les plus intenses pour justement nous appeler à vivre l’accompagnement de ceux qui souffrent – « pleurer avec ceux qui pleurent » – et même temps initier une dynamique d’espérance, à travers l’amour et le service du prochain – au nom du Christ.
Vous pouvez imaginer que l’Eglise au Liban et en Syrie est en situation de survie comme le reste de la société, mais nous affirme Hadi Ghantous, si l’Eglise se focalise uniquement sur sa propre survie, elle est déjà morte, alors que nous si nous vivons l’espérance de l’Evangile en restant ouvert à l’essentiel, c’est-à-dire à l’amour des plus vulnérables, nous sommes en route vers un avenir, celui du Dieu qui Vient.
…
Le poète Holderlin avait cette formule : « Là où croit le péril, croît aussi ce qui sauve » ; peut-être qu’en « régime chrétien », en Eglise, faudrait-il dire « Là où se développent les crises de notre monde, Dieu nous fait grandir à son amour et nous engage à l’espérance ».
Amen.
Mathieu Busch,
pasteur et directeur de l’ACO