Le dimanche 5 décembre, Mathieu Busch, pasteur et directeur de l’ACO a été invité à donner la prédication en l’église évangélique arménienne d’Issy-les-Moulineaux.
Introduction : Un grand merci pour votre accueil, c’est une première pour moi d’être invité dans une communauté de l’Union des Eglises Evangéliques Arméniennes de France. Dès que je suis devenu directeur de l’ACO, il y a 3 ans – je me souviens même que c’était en Arménie – Joël votre pasteur m’a proposé de venir : cela n’a pas pu se faire jusqu’à aujourd’hui mais c’est maintenant je crois, le bon moment :
En effet, nous sommes à l’ACO dans la dynamique de célébrer notre centenaire : cela m’a permis de me plonger dans l’histoire de notre association missionnaire, de mieux comprendre aussi ce qui s’est joué il y a cent ans et plus : le contexte, le drame, l’horreur et les conséquences incalculables du génocide de 1915, et puis les premières actions menées pour aider les rescapés réfugiés à Alep, et les liens qui se noués entre votre Union d’Eglise naissante à l’époque et ces protestants alsaciens luthéro-réformés sensibilisés à la destinée des Arméniens par le pasteur Paul Berron ! Une histoire vraiment particulière où nous pouvons discerner l’action lumineuse de Dieu au milieu des ténèbres que les êtres humains ont parfois tant de facilité à répandre…
Un des textes proposés pour ce 2ème dimanche de l’Avent se trouve dans l’Evangile de Luc au chapitre trois : il évoque la figure de Jean Baptiste, celui qui prépare la Venue du Seigneur, et je vous propose pour notre méditation de nous prendre le temps de lire les 18 premiers versets de ce chapitre, et de considérer ainsi l’ensemble du message et de l’engagement du « Baptiseur ».
Lecture Luc 3, 1-18 ; « Seigneur ta Parole est vérité, enseigne-nous à vivre de ta vérité » Amen !
Chers frères et sœurs en Christ,
Il y a trois mots qui occupent mes pensées lorsque je réfléchis à l’histoire de l’ACO, lorsque je considère ce qui se joue aujourd’hui au Proche-Orient et lorsque j’essaye d’approfondir la dimension spirituelle de notre engagement comme association d’Eglise mais aussi dans ma foi personnelle.
Ces trois mots que j’aimerai partager avec vous aujourd’hui sont ceux de « Reconnaissance », de « Crise » et « d’Espérance ».
Reconnaissance – Crise – Espérance : trois termes étroitement liés pour moi et qui peuvent aussi être une manière de dialoguer, de méditer avec le texte biblique de Luc 3.
Notre chapitre commence avec une évocation de tous les puissants, depuis l’empereur jusqu’aux roitelets locaux et aux autorités religieuses du temple de Jérusalem (la 15ème année du gouvernement de …etc) : ces noms sont comme des repères car ce sont, dit-on, les grands de ce monde « entre guillemet » qui apparemment font l’histoire, qui exercent puissance, domination, influence, qui ont tant de vies sous leur responsabilité et dont les actes et les paroles peuvent avoir tellement de conséquences.
Cependant, malgré toute l’importance de ces personnages, la Parole de Dieu, elle, s’adresse à Jean, dans le désert – à l’écart des centres de pouvoir – car lui est capable de la reconnaître, cette parole, de l’accueillir et d’en devenir le porte-voix, le prophète. En accueillant la Parole de Dieu, Jean va discerner dans sa propre existence et dans le contexte de son époque que Dieu est vivant, qu’il agit, qu’Il est Celui qui Vient, et qu’Il est donc Celui qui se tient à l’horizon de toutes nos réalités. C’est avec Lui qu’il faut définir la qualité et la vérité de notre temps.
Il est Celui qui compte avant tout chose et il est donc nécessaire de se préparer à sa venue en faisant de nouveaux choix, en vivant un retournement intérieur, une conversion qui va nous mener sur des chemins inattendus.
Se mettre à l’écoute de Dieu et reconnaître son appel c’est le cheminement de chacune de nos vies de foi personnelles, dans nos propres parcours, dans le contexte de nos existences singulières et de l’époque que nous traversons. C’est vrai pour chaque croyant.
Il y a un siècle un pasteur alsacien, Paul Berron, qui avait d’abord discerné dans sa vie l’appel de Dieu à le servir en Orient pour partager l’Evangile avec les musulmans, va être pris dans la tourmente de son temps et de ces « grands hommes importants » entre guillemets qui déclenchèrent le premier conflit mondial. Dans ce basculement horrible qui modifia durablement le cours de l’humanité, en particulier en Europe et au Moyen-Orient, Paul Berron va reconnaître que la Parole de Dieu l’invitait, lui, dans ce contexte – ce chaos précis, à se réorienter et à se mettre, avec beaucoup d’autres, au service des rescapés arméniens réfugiés à Alep. Ce fut le point de départ d’une aventure humaine et spirituelle qui se poursuit aujourd’hui et pour laquelle nous pouvons exprimer notre reconnaissance.
J’aime beaucoup, vous l’entendez, ce mot de reconnaissance qui évoque à la fois le discernement et en même temps la gratitude. Reconnaitre que Dieu parle – nous parle – me parle – et être reconnaissant envers ceux qui ont saisi cette parole dans leur vie pour la faire fructifier, pour oser, pour s’engager, afin de partager là où nous sommes l’amour de Dieu pour notre prochain, celui ou celle que le Seigneur place sur notre chemin.
En parcourant les archives de l’ACO avec d’autres membres de notre association, nous avons fait de belles découvertes ; bien sûr nous ne devons pas idéaliser : il y a eu aussi des échecs, des petitesses humaines, des désaccords, mais globalement l’engagement des bénévoles et des missionnaires force le respect ; l’état d’esprit de la mission, sans étroitesse et plein de considérations pour tous les collaborateurs locaux, arméniens, arabes, kurdes et même turcs sont un également vrai témoignage. Vous pourrez vous-même relire et vous appropriez cette histoire en parcourant notre numéro du Levant de cette année (« Mémoire d’Espérance »).
Cependant, voilà, il ne faudrait pas non plus tomber dans une fierté mal placée en se proclamant simplement les héritiers d’une histoire qui nous tiendrait lieu de justification. Jean-Baptiste interpelle de manière virulente ceux qui viennent à lui pour recevoir le baptême : « ne commencez pas à dire nous avons Abraham pour père ! Car je vous dis que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham ».
Notre histoire, nos traditions, notre passé d’Eglise et même notre identité – l’alsacien, l’arménien – sont secondaires par rapport à l’appel de Dieu pour aujourd’hui. Jean-Baptiste a un discours de crise, de jugement, de remise en cause : il ne suffit pas de se dire juif, enfant d’Abraham, et de se référer à son ascendance, pour se croire juste par nature. Non, la parole de Dieu est aussi un bouleversement qui nous oblige régulièrement à questionner nos choix personnels, notre cheminement, nos engagements. Dieu nous met en crise car le monde est en crise et que les défis se renouvellent à chaque époque.
Aux personnes qui interrogent Jean-Baptiste en demandant « Que devons-nous faire ? », le prophète invite au partage des biens essentiels – le vêtement, le repas – ; à la justice – « n’exigez rien de plus que ce qui a été ordonné » ; et à la limitation de l’usage de la force – voire à la non-violence.
Loin d’appeler les foules à se retirer au désert, Jean-Baptiste invite à préparer la venue du Seigneur en osant s’engager dans le monde et en remettant en cause les mécanismes d’inégalité, d’injustice et d’oppression. C’est une parole qui, similaire à celle des prophètes de l’Ancien Testament, a une incidence politique et gène les puissants : d’ailleurs Jean finira en prison pour être trop critique du pouvoir d’Hérode.
La Parole de Dieu met en crise et révèle les dysfonctionnements de nos sociétés. Ce terme de crise est celui qui revient le plus lorsque nous abordons les problématiques actuelles au Proche-Orient.
Tous les pays dans lesquels nous sommes engagés – Syrie, Iran, Irak, Liban, Egypte, Arménie – connaissent des situations économiques où les plus modestes sont écrasés et où la pandémie aggrave encore leur conditions de vie.
A cela il faut ajouter les luttes politiciennes, l’insécurité et les violences qui, à des degrés divers, ajoutent une incertitude et un stress quotidien aux populations de Syrie, d’Irak et même du Liban.
En deux ans, ce dernier pays, le Liban, est devenu le symbole de l’accumulation de crises liées directement à la mainmise du pouvoir et des richesses par des groupes politico-maffieux censés représentés les différents confessions religieuses du pays. C’est en fait le règne de la corruption et des intérêts particuliers au détriment du bien commun.
Vous avez sans doute suivi cette descente aux enfers : la monnaie a perdu 80% de sa valeur, l’inflation est incontrôlable et les pénuries font du quotidien un cauchemar. Tout devient une épreuve : se nourrir, se soigner, se déplacer, se fournir en électricité, trouver un travail ou aller à l’école. 80% des Libanais sont tombés sous le seuil de pauvreté.
Imaginez, entre juin et octobre de cette année le prix de l’essence a augmenté de 550%. Le salaire minimum mensuel est tombé à environ 30€ et il en faut la moitié pour acheter 25 litres d’essence ! Le pays est paralysé et des dizaines de milliers de libanais, ceux qui en ont encore les moyens, choisissent de partir en exil.
A vue humaine, le Liban comme la Syrie d’ailleurs, n’ont pas d’avenir discernable : de manière réaliste il n’y a pas d’espoir à l’horizon. C’est un refrain qui vient sur toutes les lèvres mais sur celles des chrétiens que je connais ce constat est tout de suite complété par l’affirmation suivante: « notre seule espérance est en Dieu » : c’est lui qui nous fait tenir et poursuivre notre mission. Je suis toujours touché et nourris personnellement par ce témoignage.
Bien sûr il y a des moments de fatigue, de déprime, de découragement mais il y aussi cette ressource intérieure qui permet aux pasteurs et aux personnes engagées au service des autres de rester fidèle au poste.
Jean-Baptiste déjà, dans sa propre situation, avait cette attitude de confiance, d’humilité et d’espérance : face aux attentes de ses contemporains il précise que lui-même n’est pas le Sauveur, le Messie, qu’il n’est même pas digne de délier la lanière de ses sandales, mais que le Christ véritable est bien en route pour rejoindre notre humanité et illuminer de sa présence chacune de nos existences. Nous ne sommes pas des sauveurs mais nous agissons avec le Seigneur.
Alors, certes, Jean-Baptiste avait une prédication assez radicale où le changement attendu de la part de Dieu se décrivait comme un jugement sur un monde en fin de course. Et souvent il y a cette tentation de vouloir en finir, d’avoir la réponse ultime, mais Jean-Baptiste lui-même sera surpris de réaliser que Jésus-Christ annonce d’abord un temps de grâce redonnant une chance et une espérance à notre humanité.
Anie Boudjikanian, que Joël connaît, cette femme admirable, libanaise arménienne engagée dans tellement de domaines, dans le social et en Eglise, a actuellement cette formule pour décrire ce qu’elle vit :
« Chaque seconde il y a de nouvelles détériorations, mais chaque minute il y a également des miracles. » Des miracles de solidarité, de générosité, d’espérance.
Je crois qu’il n’y a pas de plus beau terme que celui d’espérance pour définir cette énergie, nourrie de la foi et de l’amour de Dieu, que nous souhaitons partager avec le plus grand nombre, notamment dans les situations de crise et d’épreuves.
Je crois que c’est le sens de notre mission commune de proclamer l’amour de Dieu révélé à Noël et à Pâques et de l’incarner, à la mesure de nos moyens, auprès de ceux qui luttent pour une existence digne et pour un monde plus juste.
Modestement, avec d’autres, l’ACO soutient toute une série de projet au Liban : vous pourrez les découvrir sur la feuille qui vous sera remise à la sortie du culte et qui contient aussi une prière d’intercession.
Pour conclure mon message et évoquez nos frères et sœurs du Proche-Orient qui sont nos compagnons d’espérance, je vous propose d’écouter le témoignage de la pasteure Rola Sleiman, de Tripoli, qui appartient à l’église arabophone du Liban et Syrie.
Elle a récemment rédigé un petit mot à ma demande sur ce Noël 2021 qui se prépare aussi dans sa paroisse. Elle souligne bien sûr que tout est incertain : sera-t-il possible matériellement de réunir toute la communauté comme à l’accoutumée ? De faire la fête avec les enfants, d’écouter leurs prières et leurs chants, de voir leurs danses, de procéder à la distribution des cadeaux, au repas paroissial, à la séance photo des familles de la communauté ? Les voisins musulmans feront-ils la dépense d’envoyer en signe d’amitié des douceurs comme d’habitude ?
Aucune certitude, on vit au jour le jour…mais s’il y a quelque chose que Rola souhaite réussir ce Noël 2021 c’est de vivre un temps de fête avec les enfants syriens réfugiés, musulmans, qui vivent dans le camp à côté et qui sont accueillis dans le centre créé par l’église pour suivre un minimum de scolarité.
« Noël – dit-elle – c’est l’espérance pour les désespérés, la joie pour les affligés, et ces enfants ont tellement besoin de gestes d’amour. Les musulmans honorent Jésus comme un prophète appelé Issa et nous allons leur annoncer que cet Issa, notre Jésus, les aime énormément et les porte dans son cœur. Nous prierons pour que l’espérance de l’enfant nouveau-né remplisse à nouveau nos cœurs et nous crierons de joie avec la multitudes des anges : «Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, paix sur la terre et bienveillance parmi les hommes!» (Luc 2, 14),
Amen.